Le germaphobe et l'écran tactile
Ainsi une autoroute peut être une voie pour le conducteur et une limite pour le piéton. (Kevin Lynch, The Image of the City)
Le manuel du parfait germaphobe pour acheter un ticket de métro est un magnifique travail d’enquête sur une interface omniprésente dans les villes : le distributeur automatique. L’auteur, agacé de la lourdeur du processus pour créditer sa carte à New-York (11 étapes contre 3 à San Francisco), est allé discuté avec les créateurs de ces systèmes pour comprendre leurs motivations. C’est un très bon exemple d’interface frustrante cachant des compromis datant d’une autre époque et à une volonté d’être accessible à des profils d’utilisation très différents.
Mais c’est l’origine de l’article qui m’a le plus fascinée : la légère germaphobie de l’auteur. Sa peur des microbes le rend sensible à tout contact physique, surtout dans un environnement aussi hygiéniquement douteux qu’une grande ville et cela l’a conduit à compter le nombre de fois qu’il doit toucher un objet particulièrement horrifiant à ses yeux : l’écran tactile d’un distributeur de billets.
Je trouve fascinant ce regard sur les IHM, diamétralement opposé du mien. Il y a pour moi un aspect magique à toucher un écran, à le voir réagir et à savoir que l’impression d’un simple bout de papier a nécessité l’invocation d’un système complexe et me donne libre accès à une infrastructure publique. Dans ce contexte, la tape sur l’écran constitue l’alphabet de base de nos interactions avec l’informatique. Pour un usager, les boutons d’une borne tactile sont des signaux forts, ils disent « tapote-moi, tu peux dialoguer avec moi » .
Pour un germaphobe, la sémiotique d’une borne tactile est au contraire le dégoût. En conception d’IHM, on considère les affordances comme forcément bonnes et la visibilité est notre critère pour les évaluer : est-ce qu’on voit bien que le bouton est un bouton. Pourtant la gamme de réactions est plus riche, même en restant au niveau du réflexe. Un bouton peut être trompeur (comme noté par Gaver), ou susciter le doute, voire le rejet.
Au-delà des IHM, c’est le regard sur la ville qui change : ce n’est plus une plateforme de déplacements et de liberté mais un terrain dangereux où tous les objets utiles (poignées, rampes, plans) instillent la méfiance.
Notre expérience d’un système ou d’un environnement varie selon notre condition, parfois significativement, parfois de manière invisible. Il est toujours bon de se le voir rappeler.